Métro

Je suis là, debout, entre mille voyageurs, l’air hagard. Luttant pour passer inaperçu. Ma perruque me pique. Mon maquillage coule. J’ai chaud. Trop chaud. La colère me consume. Vingt-cinq minutes que le métro est arrêté entre les stations Sherbrooke et Berri-UQAM. Vingt-cinq minutes de ma vie anéanties durant lesquelles j’aurais bien pu inventer un vaccin contre le cancer, peindre un Picasso ou commencer à apprendre à jongler avec des couteaux pourquoi pas. Mais non, je suis ici complètement inutile à compter les craques du mur en face de moi. Quinze pour être exacte. Merci à Philippe d’avoir bien voulu me divertir en y taguant un joli «Philippe was here 1998». J’espère qu’il est sorti depuis, le pauvre. Je ne m’imagine pas coincée dans ce wagon durant les vingt prochaines années. Forcée à devenir cannibale, j’aurais probablement développé une aptitude pour la chasse d’homo sapiens. Clairement que le petit dodu, avec son sac de laptop en bandoulière, appuyé au mur serait ma première proie. Avec ses écouteurs sur les oreilles, il ne pourrait même pas m’entendre approcher. Son endurance cardio-vasculaire sous développée causera sa perte. La victime parfaite. Bear Grylls serait fier de moi.Je vais laisser une chance aux réparateurs et patienter quelques minutes avant de mettre mon plan à exécution. Me construire un tunnel avec ma carte Opus serait probablement plus efficace que d’attendre après ces incapables de contrôleurs. Encore heureuse de ne pas être à l’heure de pointe.

– Attention, attention une porte mal fermée cause un ralentissement sur la ligne Orange.

Ralentissement? Laissez-moi rire. Ça prend combien de temps fermer une porte? Heureusement qu’on ne se trouve pas dans une navette spatiale. On aurait tous été aspiré par un trou noir. Au moins j’aurais pu dire à dieu à ma perruque. Je pense sérieusement intenter une poursuite contre les fabricants. On n’a pas idée de rendre un accessoire si piquant. Je ne serai jamais aussi près de la souffrance de Jésus avec sa couronne d’épines que maintenant.

Quarante minutes bien comptées. L’enfant assis sur les jambes de sa mère se met à pleurer. Par pitié faites le taire. Une autre preuve que l’enfer c’est les autres, surtout lorsqu’ils ont moins de dix ans. Comment un cri strident peut sortir d’un si petit être? Les autres passagers sont agacés. Je le sens. Je le suis tout autant. La mère impuissante le chatouille, le berce, lui enfonce le biberon dans le fond du gosier. Rien à faire. Le petit démon s’époumone. Dire que j’aurais facilement pu éviter cet enfer en restant chez moi. Je n’avais même pas envie de venir. Moi et mon grand cœur c’est la dernière fois que l’on m’y prend.

Génial, les lumières qui s’éteignent. Il ne manquait plus que ça.

Ne pas paniquer, ne pas paniquer. Combien de gens sont morts dans l’histoire du métro de Montréal ? Finir 6 pieds sous terre c’est le cas de le dire. Mourir en disant un jeu de mots poche c’est tout à fait mon genre.

Le petit dodu me dévisage. Il a sûrement deviné mes sombres pensées cannibales. J’espère ne pas avoir liché mes babines en lui zieutant les mollets. Ça peut porter à confusion.

C’est quoi son problème de me regarder comme ça. Il veut que je lui confectionne un chien en ballon ou quoi. Il y a des gens qui n’ont pas d’allure.

J’ai mal partout. Mes pieds picotent dans mes souliers trop grands. L’humain n’est pas constitué pour rester sans bouger dans cette position verticale. L’homme de Néandertal rirait bien de nous voir ainsi, quoiqu’il serait probablement plus occupé à chasser le mammouth. Comme quoi les besoins ne changent pas tant, il doit bien y avoir un Pokémon ou deux à capturer par ici.

Le monsieur veston-cravate-mallette perd patience, il tambourine vainement contre la porte. Il doit être en retard à son rendez-vous d’affaire. Quelques millions n’iront pas dans les paradis fiscaux aujourd’hui. Quel dommage. Continue de tapocher mon cher capitaliste, tu mets un peu de rythme dans ma lassitude.

Tiens un confrère qui s’approche. Il devait être à la tête du train.

– J’imagine qu’on s’en va à la même place.

Bah oui champion, c’est mon accoutrement qui t’a mis la puce à l’oreille ? Je fais tout de même un léger hochement de tête accompagné d’un rictus que l’on pourrait interpréter comme un sourire. Je suis bien élevée. Il s’appuie à côté de moi.

– Ça pique en maudit cette perruque-là.

Tu ne crois pas si bien dire. Je pense envoyer une lettre à l’ONU pour dénoncer cette torture.

Les gens du wagons nous dévisagent. Je n’imagine pas l’effet qu’on doit donner.

Les lumières s’allument, le wagon se remet en marche. Alléluia ! Je sors à la prochaine station, pas question de rester une minute de plus dans cet enfer bleu.

Les portes s’ouvrent enfin. En quittant le wagon je ne peux m’empêcher d’éclater de rire devant l‘absurdité de la situation. L’image vaut plus que les transactions annuelles de Monsieur veston-cravate-mallette. Sur le quai, une cinquantaine de clowns enragés se dirigent vers l’UQAM. Les initiateurs sont mieux d’être prêts à faire face à l’armée de Krusty, car ce seront eux qui vont vivre un mauvais quart d’heure.